CRITIQUES

 
 


L’ombre qui guette    
Ludovic Duhamel
 Miroir de l’Art  #123  mai 2023

"Là, sous nos yeux un bestiaire foisonnant de vie se déploie en un maelstrom de couleurs impétueuses.
Quel univers fascinant que celui de Pierrette Cornu. Voilà ce que l’on se dit en s’approchant de ses toiles. Etrange aussi, singulier par sa figuration mâtinée d’expressionnisme, par ses grandes étendues nuageuses, presque abstraites. Là, sous nos yeux un bestiaire foisonnant de vie se déploie en un maelstrom de couleurs impétueuses. Le regard s’attarde sur des becs d’oiseaux, sur des yeux de cerf ou bien des têtes de démon. Voilà une peinture qui n’y va pas par quatre chemins. Entre truculence et abondance de détails divers et inattendus, elle se déploie avec une radicalité réjouissante. Le regard vagabonde, fouille les interstices, s’amuse des clins d’œil, se love dans les amas de pigments, les transparences. Au creux de la matière se devine une forme de gravité, une zone de non-retour, où la vie et la mort se côtoient, à la limite d’un gouffre amer. Les créatures étranges de Pierrette Cornu y affrontent le climat hostile des grandes incertitudes de la vie, avancent à petits pas, encombrés d’eux-mêmes, cernés en tous lieux par l’ombre qui guette leur destinée. « Mon trait reflète la vraie vie, indique l’artiste, celle de personnages inadaptés au rythme délirant de notre société contemporaine ». L’art n’est pas ici apposition de figures dont le seul but serait esthétique, il tonne, il dénonce, il s’insurge. On s’en rafraichit les neurones, on s’en délecte de cette écriture d’acide et de révolte qui décrit les populations en errance, la cruauté des rapports humains, les cataclysmes environnementaux ou encore la sauvagerie du monde. Cette figuration incisive, éloignée des standards mièvres de la peinture dite « décorative », est plus éloquente qu’un long discours sur les infortunes de l’existence. On en redemande."
 
 
 
 

A propos

Christian Noorbergen, n°99 Revue Art Absolument Janvier-Février 2022

« Ce qui se crée chez Pierrette Cornu, artiste de la défiguration, vient d’avant le corps construit. Car l’artiste ne fait pas corps avec son langage : elle cherche de nouvelles sources là où tout se dissocie, dans un cruel effort d’arrachement aux présences des origines et aux structures nourrissantes des mythes. En creusant son corps préverbal en gestation, Pierrette Cornu cherche et fouille  l’origine de son corps dans le monde. Elle franchit ainsi les verrous qui barrent l’accès au réel ancien et monstrueux de l’animalité humaine. Sous la peau renouvelée couve l’inguérissable enfance de l’humanité blessée. Art-exorcisme qui défigure en profondeur la trame d’une étendue finement saccagée. »


 

Pierrette Cornu, le témoignage de l’humanité

Canoline Critiks


La zone d’humanité s’engouffre dans ses œuvres selon une certaine violence, peu contenue et débordante pour témoigner avec esthétisme d’une société où la survie de l’homme se fait parfois oublier.
« A partir d’un chaos assez indescriptible sur la toile doit surgir quelque chose. »
Sa technique mixte utilise le plus souvent l’acrylique et d’infimes corps étrangers tels que des débris, assemblés, collés comme matériaux de départ liant ses personnages à la matière.
 
Son geste débridé, brûlant, vindicatif, informe sur la trace humaine d’un corps et d’un esprit en survie. Dans sa peinture, on ne trouve pas de lignes de fuite ni de perspectives, mais l’affrontement, la superposition, la confrontation. Les traits sont des cicatrices apparentes, les zones visibles des indécisions et des renoncements. Pierrette Cornu efface, fragmente.
« Rien n’est jamais sûr, ni définitif ou terminé. Mon trait reflète la vraie vie, celle de personnages inadaptés au rythme délirant de notre société contemporaine. Vie imparfaite, rugueuse, banale, fragile, complexe donc intéressante. »
 
 

L’artiste évoque le thème du déplacement des populations fuyant la violence, les catastrophes économiques, écologiques, montrant une tentative d’évasion dont on connaît la fortune.
L’enfermement comme l’ouverture de perspectives, la fuite des corps, les possibilités d’échappatoire et les résidus d’un instant décisif sont agencés comme une somme d’empreintes meurtries où le rouge sanguin récurrent accentue la palette aux tonalités grises et noires.
 
L’artiste donne au corps une question existentielle et révèle le sens tragique de sa destinée où l’espoir est une quête perpétuelle.
 « Mes personnages le plus souvent empêchés, entravés mais vivants, sortent les uns des autres comme des poupées russes. Mon travail est un témoignage d’humanité par la peinture. Je suis préoccupée par l’état de ce monde brutal, partagé entre espérance et désespérance. »
L’empreinte de la mort rôde comme une signature cruelle. Des créatures de cauchemar à la fois menaçantes et bienveillantes renforcent l’inquiétude. Ce sont des loups, des corbeaux… Autant de : « totems, et petites créatures sensées protéger du désastre. Ils sont aussi les exemples de liberté, du franchissement des frontières. »
Des corps et des têtes à l’aspect rempli d’avidité et de curiosité côtoient les autres acteurs de ce bestiaire. Ils montrent le temps comme naturellement démoniaque parce que ne cessant de faire écho à notre être essentiellement mortel. La peintre donne corps à la mort afin de l’affronter et de s’en extraire. Face à cette menace aussi effrayante que fascinante, les sujets font l’épreuve d’une expérience-limite. Avec cette nécessité de prendre leur existence en charge.
« On ne parle pas assez de la mort dans nos sociétés aseptisées. »
 
Dans chaque peinture de Pierrette Cornu semble apparaître un appel, un cri, parfois renforcé par quelques indices narratifs, des mots choisis : « vent violent, optimistic, captain, lien, arrivé peut-être, fragile, absence, trajectoire, embarqué, jeté loin, bad bird… »
« L’étincelle est sonore, j’ai une mémoire auditive, les mots déclenchent tout de l’imagination. »