MICHEL LAGRANGE - RENCONTRE*

 
 

2016

L'HUMANIMAL  

 

 
Le fond du jour est noir
En raison de son origine.
 
Avant l’apparition de la lumière
Et des vivants,
La nuit première avait les pleins pouvoirs
 
L’homme est sorti de sa nuit de naissance,
Ébloui-déçu par l’abus solaire.
La nostalgie d’un noir instinctif et crucial
Refait surface en lui.
 
Retour aux animaux natals…
Remontée d’un réseau de cris
Exaltés du bas-ventre…
 
Il défigure ainsi
Ce que la verticalité du jour
Lui avait garanti
De grandeur et de foi.
 
Je suis l’humanimal
Légendaire, éternel…
L’ombre incarnée de mes bas-fonds…
 
Un homme à peine
Et ses fantomatiques…
Un sursitaire à terre…
Je me fais un sang d’encre exprès
Pour fuir dans ma nuit matricielle à ciel
Plombé.
Une immersion sans masque…
Une apnée de terreurs…
Écorché mon visage
En dit plus long
Qu’un panorama sans coutures.
 
Désastres de la paix…
Fantaisies de la guerre...
Folies de la raison...
 
Couteaux tirés…
Horreur confuse…
 
Les sillons de ma nuit
Sont plus féconds que ceux du jour.
Une ombre blanche y joue les feux follets,
Au point que le très-haut
Coïncide avec le très-bas.
 
Je contiens dans mes doubles-fonds
Une foule impatiente.
Autant de simulacres
Autant de vérités sans fards.
 
L’enfer me ment.
Je reconnais les foudroyés de l’implosion.
Incandescent des quatre veines,
Un carnaval en sort grandi
Jusqu’au délire.
Tragiquement comique, un clown !
Comiquement tragique, un clown !
Clown blanc, clown noir
Incarcérés par le déluge.
Un carnaval… deux carnivores…
Et le sang des agneaux
Répandu à plaisir.
 
 
Horreur des lignes droites !
Amour du labyrinthe !
Grouillements des clameurs
Nés de la nuit congénitale.
Imbroglio sans foi ni loi.
 
Somnambulisme à la dérive…
L’étreinte est cannibale
Inventée par un dieu malsain.
 
Je rêve en noir et blanc
Pour me passer de l’anecdote.
Quelques couleurs, criardes,
En ironie du sort,
En défi de mémoire…
 
Un trop-plein de lémures
Envahit le parvis des limbes.
Il y a tant de morts qui me regardent !

 

 
La vérité m’emporte
Et me laisse accroupi,
Avec mes osselets
Jusqu’à ce que résurrection s’oublie.
 
En dehors du déluge,
Il n’y a pas de vérité marine.
 
Pour accéder à l’au-delà,
Les cavernicoles
Ont les yeux qui meurent.
Les revenants sont fraternels
En diable.
 
Et le corbeau n’est que mon cri
Multiplié par ses battements d’ailes.
Il me donne raison follement raison d’être
Un être-à-mort.
 
Les trois coups du destin ne sont
Que ceux du brigadier avant
Que le rideau ne se lève et n’avoue
L’Apocalypse.
 
Ne reste qu’un horizon mort castré
Pour qu’il se mette à chanter comme un ange,
À l’intérieur du pire.
 
Michel Lagrange
 

 
 
 
 
CHAVIRER
 Un homme, entre le ciel et l’enfer de sa vie
Chavire.
Il se croit nageur d’encre noire,
Écrivain de son corps.
Il flotte entre le blanc d’un rideau-voile
Et les remous de la mer nocturne-invivable.
Un homme au bras tendu
Battant le crawl
Ou dressant le mât d’un bateau perdu…
Un homme en comédien-brouillon
De radeau médusé…
En déraison
Sous le grand chapiteau du ciel,
Cet homme essaie de rire aux chahuts d’un roulis
Mortel,
Au-dessus, en-dessous
De son corps allongé.
C’est un nageur clownesque intermittent     
Qui se glisse entre deux abîmes…
Les brouillons de la mer,
À fleur d’écume, on les dirait
Un compromis de semence et de sciure.
 Peu s’en faut que l’écume
Au plus intime et secret de son corps
Ne déclenche un complot furtif et barbelé
Contre sa tentative éperdue de gagner
Le large
En traversant les douleurs de sa vie.
Pour ce nageur,
Il n’y aura aucun cessez-le-feu.
La mer efface odieusement
Ce que son corps inscrit d’écriture en appel.
Sur le sable, il continuera
Son jeu de funambule
Applaudi par les goélands.  
                          
LA MOUCHE
Nuage empoisonné
Ombres des morts cloués vivants
Sur les murs de la ville
Éclats d’une blancheur atroce.
 Durablement la nuit des origines
Et son déluge...
 Exploit-venin du jour
Ciel endeuillé par des ricochets veufs…
 Née autrefois dans la tête d’un mort
Toute mémoire est une mouche
Irréversible
Un ricochet sur l’écho des cadavres.
Un ciel de proie contient
Plus de gisants fossilisés
Que de palpitations d’étoiles
Et l’avenir plus de corps monstrueux
Que de Lumière.
L’absence est du temps mort
Qui joue les métastases.
J’aurai beau déguiser ma vue
Fermer ma bouche à des vrombissements
De langue morte
Une mouche y pondra son carnaval funèbre.

 
* Michel Lagrange           
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lagrange.michel@orange.fr